Dans l’œuvre « La République » du philosophe Platon (IV e siècle av. J.-C.), se trouve le texte qui nous intéresse présentement, à savoir « L’allégorie de la caverne ». Mais en quoi un document si ancien peut-il avoir rapport avec notre époque actuelle, et notamment la crise mondiale liée à la pandémie de Covid-19 qui chamboule soudainement les habitudes acquises depuis toujours par des milliards de gens ? Pour commencer, rappelons la substance de cette fameuse allégorie, de quoi s’agit-il ?
L’histoire se passe dans une demeure souterraine où des hommes sont prisonniers depuis toujours. On ne sait pas qui c’est, Platon ne le précise pas. Ils sont attachés face au mur par les jambes et la nuque, ils ne peuvent pas tourner la tête mais ils ont les mains libres, détail important, ce qui leur permet potentiellement de voter sachant qu’à l’époque de la Grèce antique, on votait en levant la main. De même au sens figuré, on peut supposer qu’ils avaient, du moins officiellement, les mains libres, donc la liberté de penser, de choisir. Mais la question se pose alors de savoir dans quelles conditions cette liberté pouvait-elle s’exercer ? Nous approchons là d’une notion fondamentale, celle du conditionnement mental de ces hommes et le rapport avec notre époque contemporaine sera vite établi.
Alors ces hommes enfermés dans la caverne, que leur arrive-t-il ? Eh bien ils sont tout simplement divertis par d’autres hommes, sortes de montreurs de marionnettes qui agitent pour eux des objets fabriqués. Ils ne voient que cela, rien d’autre que ce qui leur est montré, vivant dans un monde d’illusions. Ils perçoivent également l’écho des voix de leurs geôliers contre la paroi de la grotte, leur faisant croire que ce sont les ombres qui parlent. Ils ne voient pas le monde extérieur, ils sont totalement isolés, à l’image de ceux qui de nos jours n’écouteraient qu’une seule source d’information pour se faire une idée du monde qui les entoure, s’en trouvant de ce fait à la merci au grand risque de se faire éventuellement manipuler. Rappelons également qu’ils tournent le dos à l’entrée de la caverne, n’ayant pour seul horizon que le mur du fond sur lequel ils voient, grâce à un feu allumé derrière eux et par un faible rai de lumière extérieure, leurs propres ombres et celles projetées par les objets agités par les autres hommes derrière eux assez loin.
Sans accès direct à la lumière extérieure, ils n’ont donc à leur disposition que la connaissance potentiellement liée à ce qui leur est montré. Leur seule réalité, ou plus précisément leur seule conscience de la réalité, ce sont ces ombres. Ainsi, le risque pour ces prisonniers n’est-il pas de prendre pour vraies des choses qui ne le sont pas ? En effet, une ombre n’est pas la chose elle-même, c’en est une image déformée notamment par d’infinis et possibles jeux de lumière mais les prisonniers de l’allégorie l’ignorent.
Platon dans son allégorie propose, par l’intermédiaire du discours de son personnage Socrate, que l’on détache l’un de ces prisonniers et qu’on l’amène à la surface. Que se passe-t-il ? Soudainement face à la lumière, il en est ébloui, expérience pénible pour les yeux, ce qui l’empêche au départ de distinguer les vrais objets dont jusqu’ici il voyait parfaitement les ombres. L’homme en question a du mal à sortir du conditionnement dans lequel il avait été enfermé, un ordre établi qu’il n’avait jamais pensé à remettre en question, persuadé que ces ombres qu’il voyait constituaient la réalité, la vérité. Peu à peu, il s’y habitue cependant et commence à comprendre que ce qu’il voyait en captivité n’était qu’illusion. Il voit les vrais objets dont jusque là, il ne distinguait que les ombres. Il accède ainsi à la connaissance de la vérité, découvrant qu’il s’était trompé jusqu’à cette découverte.
Il comprend que s’il retourne dans la caverne instruire ses anciens compagnons toujours sous conditionnement, ceux-ci penseront que sa vue s’est dégradée car étant désormais habitué à la lumière, tout comme nous lorsque nous arrivons soudainement dans un endroit sombre, il aurait du mal à distinguer les ombres dansantes. Le résultat est que les prisonniers, toujours victimes de leurs préjugés, penseront qu’il ne faut surtout pas sortir de la caverne, que c’est trop dangereux pour la vue, préférant continuer de regarder les ombres familières, connues, rassurantes quelque part. L’ancien prisonnier décide donc pour se protéger de ne pas retourner dans la caverne, comprenant qu’il y serait très mal accueilli, pris pour un fou et rejeté par ses anciens compagnons dont il a cependant pitié, s’il leur expliquait ce qu’il avait découvert. Cette allégorie du déni de la réalité met en évidence la résistance au changement, la difficulté des humains à modifier leurs propres conceptions du monde, idées reçues et préjugés créés par l’habitude et au niveau de la Cité, par le pouvoir en place.