L’expression « mettre en quarantaine », d’actualité en ce début 2020 en raison de l’épidémie de coronavirus, désigne comme nous le savons tous le fait d’isoler une personne ou des groupes de personnes, mais aussi des animaux, susceptibles d’être atteints d’une maladie contagieuse, pendant une période dont la durée est fluctuante selon le contexte, donc pas forcément quarante jours. L’expression signifie également exclure quelqu’un, pour tout autre motif non lié à une éventuelle maladie. Mais d’où cette expression vient-elle ? Et pourquoi quarante ? Au XVIIe siècle, il s’agissait d’une période d’isolement imposée à Venise (quarantena), à la suite de l’épidémie de peste de 1630-1631, celle-ci continuant jusqu’à la fin du siècle et provoquant de nombreuses victimes. Selon certains historiens, cette épidémie serait à l’origine de la chute de la République de Venise autrefois grande puissance commerciale et politique. Le terme « quarantaine » au sens sanitaire apparaît d’ailleurs en 1625 dans les dictionnaires et traités d’histoire de la médecine. On retrouve souvent le nombre 40 au cours de l’histoire et il est particulièrement symbolique, en voici quelques exemples : le Déluge dura 40 jours dans la Bible, Jésus Christ passa 40 jours dans le désert. Concernant directement notre thème, en voici d’autres : la Sainte quarantaine (40 jours de carême), la « quarantaine-le-roi » instituée par Philippe-Auguste (ordonnance renouvelée par Louis IX en 1245), temps de réflexion obligatoire avant de régler un conflit entre deux clans, cela limitait les guerres privées et en cas de rupture de ce délai, le responsable était réputé avoir porté atteinte au roi avec toutes les conséquences que cela impliquait, notamment une punition devant la justice royale.
Aux siècles suivants, la pratique de mise en quarantaine s’est généralisée aux ports des mers Adriatique et Méditerranée puis dans toute l’Europe chaque fois qu’une épidémie menaçait la population. En 1720, des murs de 100 kilomètres, gardés par des militaires, furent construits dans le sud de la France doublés de grands fossés, assez efficaces. À Marseille en 1721, ville portuaire particulièrement exposée aux épidémies arrivant par les navires, la quarantaine fut cependant mal appliquée lors d’une épidémie de peste, ce qui en provoqua la propagation bien au-delà. Lors de quarantaine lorsque les équipages venus de l’étranger souffraient d’une maladie contagieuse, les bateaux étaient généralement signalés par un drapeau particulier qui interdisait aux autres navires de les approcher, le pavillon jaune toujours utilisé en souvenir de ces époques anciennes pour une demande de « libre pratique » (droit de pénétrer et d’accoster dans les eaux du pays d’arrivée). Ils ne pouvaient pas accoster dans les ports pendant 40 jours. Les premières quarantaines sont apparues cependant bien avant le XVIIe siècle. Trois siècles plus tôt, en 1346, la peste noire venue d’Orient par les galères décima l’Europe, faisant 25 millions de victimes, obligeant peu à peu les grands ports à prendre des mesures de protection. Puis en 1377, la République maritime de Raguse (Dubrovnik actuellement) imposa par la plume de son recteur aux navires arrivant d’une zone infectée de s’isoler 30 jours sur une île des environs afin de se protéger de la peste et on laissa les malades mourir sur les bateaux, ce fut apparemment efficace (sic !). L’isolement des personnes venant de zones suspectes se fit ensuite dans des bâtiments appelés « lazarets ». Le premier lazaret connu fut d’ailleurs installé en 1403 à Venise contre les épidémies venant de la mer, puis un autre fut installé à Gênes et le troisième à Marseille en 1526. Ce n’est que plus tard que le temps d’exclusion augmenta à 40 jours, certainement après de multiples constatations de l’insuffisance d’efficacité de 30 jours. Dès le XIVe siècle, à défaut de quarantaine officielle, dirons-nous, les maisons des victimes étaient marquées d’une croix pour dissuader toute personne extérieure d’y entrer, il fallait faire comme on dit avec les moyens du bord. Les victimes étaient quant à elles enterrées dans des fosses communes. Toute l’Europe adopta peu à peu la quarantaine jusqu’à la fin du XIXe siècle. Mais pourquoi cet arrêt ? Il existe plusieurs raisons. La pratique fut en réalité peu à peu abandonnée au cours du XIXe siècle. Les premières conférences sanitaires internationales démontrèrent son inefficacité par le fait que quasiment toujours, des personnes s’en échappaient et ainsi diffusaient la maladie quelle qu’elle soit à l’extérieur, contaminant le reste de la population. L’épidémie de choléra de 1831 fit quant à elle énormément de victimes en Europe occidentale malgré les quarantaines encadrées par l’armée qui ont finalement bloqué le commerce et détruit l’économie, provoquant des famines et de violentes émeutes. La dernière quarantaine connue en Europe, cette fois au XXe siècle, eut lieu à Vannes dans le Morbihan contre la variole en 1955, par décision du préfet. La vaccination devint obligatoire et en quelques jours, plus de 70 % de la population fut vaccinée.
Désormais, les quarantaines ne durent plus 40 jours mais sont adaptées aux maladies et aux connaissances actuelles de la médecine. Pour Ebola (Afrique), la durée maximale d’incubation est de 21 jours, sachant que la quarantaine y est considérée inutile par les médecins puisque les personnes ne sont contagieuses que lorsqu’elles en présentent les symptômes, même si des villages entiers ont été mis en quarantaine en Afrique de l’Ouest lors de la dernière épidémie en 2013. Au Sierra Leone, le confinement fut de trois jours. Pour le SRAS (Asie et Canada en 2003), ce furent 10 jours de quarantaine. Pour le coronavirus actuel, c’est 14 jours, mais seulement quand les personnes sont dépistées positives et en manifestent les premiers symptômes et/ou sont en contact avec des personnes infectées (cas de plusieurs bateaux de croisière bloqués en quarantaine). 60 millions de personnes sont concernées en ce moment en Chine par les mesures de confinement prises par son gouvernement mais le nombre augmente de jour en jour.